Le Figaro : 06/04/2010
Par Pascale Senk
Basée sur les mouvements oculaires, cette thérapie baptisée « EMDR » attire de plus en plus de psys et de patients. Révolutionnaire ?
Ils y viennent tous, ils s'y mettent tous, ils adhèrent tous, psychiatres, psychanalystes, médecins, et surtout patients… À quoi? À l'EMDR, qui n'est pas un parti politique mais une nouvelle technique thérapeutique (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) indiquée contre les traumatismes psychiques. Tous ces chocs du passé non digérés qui nous habitent au présent et qui «portent un grand “T” - viols, attentats, accidents - ou un petit “t” - disputes, humiliations, etc.», écrit le psychanalyste Jacques Roques (dans Découvrir l'EMDR, Interéditions), ont désormais intérêt à bien se tenir. L'arsenal pouvant venir à bout de leurs effets persistants (panique, phobies, images obsédantes…) est enfin arrivé.
En réalité, cela fait plus de vingt ans que cette thérapie en vogue a été découverte par une psychologue californienne, Francine Shapiro, qui en a pressenti les bénéfices lors d'une expérience personnelle. Contrariée et sujette à des pensées négatives alors qu'elle se promenait dans un parc de San Francisco, la jeune femme remarqua que ses sombres ruminations disparaissaient lorsque, de manière tout à fait spontanée, ses yeux faisaient des va-et-vient en diagonale, d'en bas à gauche vers en haut à droite.
De plus en plus consciente du processus en le répétant sur elle-même, elle se mit à le soumettre à ses proches et à des étudiants: «En travaillant avec les soixante-dix premières personnes, je découvris qu'il me fallait inventer une procédure allant avec les mouvements d'yeux pour dissiper durablement l'anxiété.» Peu à peu, cette découverte personnelle tout à fait inattendue se transforma donc en un modèle clinique à élaborer, une aventure que la psychologue a racontée dans un livre passionnant traduit en français en 2005, Des yeux pour guérir (Seuil).
Désormais, l'EMDR est une thérapie comportant huit phases très précises pour venir à bout des «mémoires de vie non retraitées physiologiquement stockées», comme les définit Isabelle Meignant-Ordoux, superviseur EMDR Europe. Elle a été utilisée partout dans le monde, pour des vétérans du Vietnam ou des réfugiés des camps palestiniens. Et aujourd'hui, pour tous ceux qui souffrent de crisesd'anxiété, d'images obsédantes ou de sursauts émotionnels inappropriés à leur présent. Le docteur Michel Meignant, président de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse, est enthousiaste: «C'est David Servan-Schreiber qui a fait connaître cette technique en France. Auparavant, grâce à la psychothérapie de groupe, entre autres, j'avais des résultats avec mes patients, bien sûr, mais des résultats lents. Quant à moi, après vingt-neuf années de psychanalyse, j'étais encore hanté par la déportation de mes grands-parents et j'étais incapable de regarder le film Nuit et brouillard.»
Pour prouver l'efficacité de l'EMDR, Michel Meignant a parcouru le monde, filmé quelque 850 séances et s'est soumis lui-même à une séance éprouvante devant la caméra, où il retraverse ses souffrances familiales avant d'en sortir apaisé. Cela donne un documentaire convaincant, qui se clôt sur l'appel visionnaire de praticiens des «stimulations bilatérales alternées»: si l'on soignait tous les traumatisés de la Terre grâce à l'EMDR, nous pourrions tous nous donner la main et construire la paix…
Huit phases
L'association EMDR France enregistre de plus en plus d'adhérents et de formations. Ils étaient 50 en 2003. Ils sont plus de 700 aujourd'hui. Qu'est-ce qui fonde un tel succès? Sans doute l'intérêt pour les recherches croisées entre cerveau et psychisme: la technique EMDR se situe exactement au carrefour entre neurologie et psychologie. Autre élément attractif: une thérapie «brève», qui n'est cependant pas express et repose sur une vraie reconnaissance de la vie intérieure profonde du patient. «Nous ne savons pas combien de temps va durer la prise en charge, précise Michel Meignant. Car derrière un événement stocké dans une mémoire inadaptée à ce moment peuvent s'en dissimuler bien d'autres. C'est pourquoi l'EMDR traite à la fois les traumatismes isolés et les empoisonnements psychiques, lorsque des traumas comme l'inceste se sont répétés sur plusieurs années.» Enfin, il y a une mise en scène assez spectaculaire de la disparition du symptôme. Tous les patients témoignent: «Pendant la séance, je revivais les émotions pénibles, à peine supportables. En quittant le cabinet du psy, je pouvais raconter mes mauvais souvenirs sans en être bouleversé.» Le fil rouge des traumatismes que chacun porte en soi n'a pas fini d'être reconnu, et exploré.
Par Pascale Senk
En effet la thérapie EMDR utilise une stimulation sensorielle bi-alternée (droite-gauche) qui se pratique par mouvements oculaires – le patient suit les doigts du thérapeute qui passent de droite à gauche devant ses yeux – , mais aussi par stimuli auditifs – le patient porte un casque qui lui fait entendre alternativement un son à droite, puis à gauche – ou tactiles – le patient tient dans les mains des buzzers qui vibrent alternativement de droite à gauche, ou bien le thérapeute tapote alternativement les genoux du patient ou le dos de ses mains.
Francine Shapiro, Ph.D., psychologue américaine résidant en Californie, actuellement Senior Research Fellow du Menlo Park Research Institute – l’École de Palo Alto -, a trouvé par hasard en 1987 un moyen très simple de stimuler un mécanisme neuropsychologique complexe présent en chacun de nous, qui permet de retraiter des vécus traumatiques non digérés à l’origine de divers symptômes, parfois très invalidants. On peut ainsi soigner des séquelles post-traumatiques même de nombreuses années après.
Depuis près de de 30 ans la thérapie EMDR a prouvé son efficacité à travers de très nombreuses études scientifiques contrôlées mises en place par des chercheurs et cliniciens du monde entier. Elle est principalement validée pour le trouble de stress post-traumatique (TSPT), qui est la dénomination scientifique de ce qu’on appelle aussi plus communément le psychotrauma. A ce titre, la thérapie EMDR est recommandée, entre autres instances publiques nationales et internationales, par :
- La Haute Autorité de Santé depuis Juin 2007, pour l’état de stress post-traumatique (ancienne dénomination du TSPT) ainsi que pour les comorbidités souvent associées (dépression, risque de suicide, dépendance vis-à-vis de drogues ou de l’alcool, etc.). Cf. Guide-Affection de longue durée : Affections psychiatriques de longue durée, Troubles anxieux graves, page 17.
- L’Organisation Mondiale de la Santé depuis 2013, cf. Guidelines for the Management of Conditions Specifically Related to Stress, pages 37-39.
- Un rapport Inserm de Juin 2015 fait un état des lieux de la validation de l’efficacité de l’hypnose et de l’EMDR Evaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose.
Pour plus d’explications sur cette thérapie, vous pouvez consulter : Entretien avec Francine Shapiro: aperçu historique, questions actuelles et directions futures de l’EMDR, article de 2009 qui balaye la thérapie EMDR depuis sa découverte jusqu’aux dernières recherches.
Lorsque le psychisme est dépassé par un choc traumatique, notre cerveau n’arrive pas à traiter – ou digérer – les informations choquantes comme il le fait ordinairement et reste bloqué sur l’évènement, sans que nous en ayons conscience. Ce sont ces vécus traumatiques non digérés qui creusent le lit de la pathologie, provoquant un trouble de stress post-traumatique et d’autres pathologies associées.
Le trouble de stress post-traumatique se rencontre principalement chez les victimes d’évènements traumatiques civils survenant dans l’enfance ou à l’âge adulte – agressions et maltraitances physiques, psychologiques, et sexuelles, accidents, deuils, attentats, catastrophes naturelles – , mais aussi chez les militaires et civils victimes d’évènements traumatiques survenant dans le cadre de guerres et de conflits armés.
Il est à noter que les proches de personnes victimes sont également concernés par un possible impact traumatique indirect de la violence subie par leur proche.
Les événements à l’origine de troubles post-traumatiques peuvent être aussi des évènements de vie difficiles, qui n’ont pas été identifiés à l’époque comme potentiellement traumatiques car ils semblent avoir été surmontés, mais qui laissent des blessures émotionnelles pouvant être à l’origine de perturbations psychologiques ou de comportements inadaptés ou excessifs dans la vie quotidienne. Cela peut concerner des difficultés familiales vécues dans l’enfance, des ruptures, des difficultés conjugales, des maladies et opérations, des interruptions de grossesse, des difficultés professionnelles, etc…
Les symptômes du trouble de stress post-traumatique
Majoritairement les perturbations s’expriment sous forme d’irritabilité, angoisses, cauchemars, reviviscences et ruminations à propos du vécu traumatique, tendance à l’isolement, état dépressif, comportement agité voire violent, douleurs physiques, somatisations, régression et/ou répétition des violences chez l’enfant, …
La chronicisation du trouble peut entraîner dépression, addictions, trouble du comportement alimentaire, attaques de panique, phobies, …
Du fait de l’effet puissant de cette thérapie sur le psychisme du patient, une préparation est indispensable. Les entretiens préliminaires permettent de :
– construire une relation thérapeutique de confiance avec son praticien ;
– identifier avec lui une problématique actuelle susceptible d’être traitée en EMDR, puis les souvenirs traumatiques à l’origine de ces difficultés ;
– et enfin de mettre en place des outils psychocorporels de stabilisation émotionnelle qui peuvent être utilisés en cours de séance ainsi qu’en pratique autonome entre les séances.
Les souvenirs perturbants identifiés sont ensuite retraités, un à un, lors des séances, à l’aide des stimulations bilatérales alternées. Il faut parfois plusieurs séances pour traiter un seul souvenir. Pour les enfants, selon leur âge, le traitement EMDR peut se faire en présence de leurs parents.
Le processus psychique de traitement activé par la méthode est un processus conscient. Il correspond à ce que fait naturellement notre cerveau quand il ne se bloque pas.
Au début, le praticien demande au patient de se concentrer sur le souvenir traumatique, en gardant à l’esprit les aspects sensoriels les plus perturbants (image, son, odeur, sensation physique), ainsi que les pensées et ressentis actuels négatifs qui y sont associés.
Le praticien pratique alors des séries de stimulations bilatérales alternées rapides; entre chaque série, le patient dit ce qui lui vient à l’esprit ; il n’y a aucun effort à faire pendant la stimulation pour obtenir tel ou tel type de résultat, l’évènement se retraite spontanément et différemment pour chaque personne selon son vécu, sa personnalité, ses ressources, sa culture.
Le praticien continue les stimulations jusqu’à ce que le souvenir ne génère plus de perturbations mais soit mis à distance, « effacé », ait perdu sa vivacité. Ensuite, toujours avec des stimulations bilatérales alternées rapides, il aide le patient à associer à ce souvenir une pensée positive, constructive, pacifiante, et à évacuer d’éventuels restes physiques désagréables.
Une séance d’EMDR dure de 60 à 90 mn, pendant laquelle le patient peut traverser des émotions intenses, et en fin de séance, peut généralement ressentir une nette amélioration.
Source : Association EMDR France
Michel Meignant
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